La gastronomie canadienne : un immense bouquet de saveurs!

Rédigé par Sophie Ginoux, journaliste gastronomique
Pour les Rendez-vous de la Francophonie 2022


Le Canada est un pays unique à bien des égards, et sa gastronomie ne fait pas exception! Sur ce vaste territoire de presque 10 millions de kilomètres carrés bordé de trois océans, les premiers hommes ont découvert, il y a 20 000 ans, un riche garde-manger halieutique. Ils ont aussi profité d’un impressionnant réservoir de nourriture dans ses forêts boréale et côtière, ses milliers de lacs, ses vallées chaudes, ses grandioses plaines herbeuses et sa toundra.

Ces hommes ont bientôt formé les Premières Nations, dotées de 108 langues et d’autant de cultures culinaires différentes. Puis, de l’an 1000 à 1600 de notre ère, ils ont reçu la visite de marins vikings et européens, avant que les Français et les Anglais ne décident d’en faire leur terre d’adoption et n’apportent dans leurs bagages leurs propres traditions, produits et techniques culinaires. Un brassage culturel majeur qui a influencé et influence toujours la cuisine de l’ensemble des provinces canadiennes.

Mais, le Canada est aussi devenu par la suite une terre d’accueil pour une multitude d’immigrants venus d’Europe, d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et des îles. Si bien qu’aujourd’hui, la gastronomie canadienne se caractérise par sa multiculturalité. On y retrouve des spécialités héritées de plusieurs siècles ou millénaires, d’autres venues des quatre coins de la Terre et cuisinées avec des produits locaux, et d’autres encore nées de la créativité de nos cuisiniers ou de la rencontre de plusieurs cultures culinaires.

L’ensemble de cette œuvre gourmande ressemble, selon l’historien Michel Lambert, à un immense bouquet dont certaines fleurs sont communes, tandis que d’autres s’épanouissent seulement sur certains sols. Et c’est cet immense bouquet, de ses racines jusqu’au pistil, que nous vous invitons à découvrir aujourd’hui à travers cinq grandes régions géographiques. Bon appétit!

Colombie-Britannique et Yukon

Saviez-vous que c’est un francophone, un certain François-Xavier Ladéroute, qui a été le premier à implanter l’agriculture au Yukon? Cette petite anecdote ne doit cependant pas nous faire oublier que les principales vedettes de cette région canadienne, ce ne sont pas les pommes de terre Yukon Gold, créées en Ontario, mais les produits halieutiques. On y pêche effectivement des poissons, crustacés et mollusques en grandes quantités que l’on grille, poêle, poche, pane, marine, fume, sèche, congèle et met en conserve pour l’export.

Parmi tous ces produits, le saumon occupe une place centrale, à la fois du point de vue de la production que du point de vue symbolique. Il était même autrefois considéré comme la réincarnation d’un esprit bienveillant qui revenait chaque année sous forme solide pour nourrir les peuples de la Côte. Voilà pourquoi il revêt une importance particulière pour les Premières Nations de la Colombie-Britannique et du Yukon, comme l’explique Joella Lynn. Mais, il est aussi très apprécié par les communautés allochtones, qui le consomment aussi bien à cru dans des sashimis et des sushis, que grillé au barbecue ou à la poêle, fumé ou mariné dans des salades, des pâtes ou des sandwichs, braisé dans des chaudrées et des casseroles, en sauce dans des vol-au-vent, en boîte dans des pâtés, ou encore frit sous forme de saucisses et de galettes de poisson. Ce ne sont pas les utilisations qui manquent!

Outre le garde-manger marin, la Colombie-Britannique est reconnue pour ses fruits (cerises, abricots, pêches, nectarines, pommes, poires, prunes, bleuets, avelines et canneberges, etc.) et ses vignobles de de la vallée de l’Okanagan. Les importantes communautés asiatiques et indiennes implantées dans la région de Vancouver ont également teinté la cuisine que l’on déguste sur place de nombreux mets frits et épicés.

Du côté du Yukon, un territoire à la fois ancestral, minier et touristique, même si on importe aujourd’hui beaucoup de denrées, la pratique de la pêche (omble arctique, touladi, truite arc-en-ciel, grand brochet, corégone, lotte, saumon, etc.) et de la chasse au gibier (orignal, caribou, ours, lièvre, castor, oie sauvage, perdrix, etc.) est encore très populaire et se reflète dans beaucoup de recettes. On y cueille également des champignons, ainsi que des petits fruits comme les baies d’haskap, aussi appelées camerises bleues.

Pour rendre hommage au saumon, les deux restauratrices francophones de La Petite Maison, établie à Whitehorse, nous expliquent comment réaliser une crêpe au saumon fumé et à la chantilly salée.

Provinces centrales, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut

Voici la région géographique la plus vaste et la plus contrastée, géographiquement comme climatiquement, du Canada. Les froids polaires des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut y croisent en effet les montagnes et les terres désertiques de l’Alberta et de la Saskatchewan, ainsi que les terres humides et les plaines des Prairies (Saskatchewan et Manitoba), où se sont installés les premiers hommes, heureux de chasser des milliers de bisons.

C’est ce même bison qui a bâti la réputation des provinces centrales, encensé par les populations locales et apprécié sous toutes ses formes (grillé, fumé, séché, en ragoût) par les voyageurs. Il est demeuré dans les cœurs – et les estomacs – même s’il constitue aujourd’hui une viande de luxe comparativement au bœuf, élevé avec succès depuis une soixantaine d’années dans l’Ouest. Il faut d’ailleurs noter que l’Alberta et la Saskatchewan possèdent, à elles seules, plus de la moitié de tous les élevages de bœuf au Canada! Alors, évidemment, il ne faut pas s’étonner de voir le bœuf trôner, grâce à une multitude de recettes, sur les tables de cette région géographique.

L’Ouest recèle aussi d’autres trésors gourmands, comme la culture d’une quinzaine de légumineuses (cuisinées sous forme de soupes, de casseroles tout-en-un ou de desserts), de riz sauvage, de graines de moutarde (le Canada en est le plus grand producteur au monde). Mais, il est surtout très connu pour ses céréales, notamment le blé, qui s’est imposé d’un bout à l’autre du pays. On y cultive aussi l’orge, le quinoa, le seigle, l’avoine, le sarrasin, le soja, le colza et le lin. Cette profusion de céréales a donné naissance à de grandes marques de farine que nous connaissons bien : Purity, Robin Hood et Five Roses. Elle est aussi à l’origine d’une ribambelle de pâtisseries qui puisent leur inspiration soit dans les traditions culinaires britanniques, françaises ou américaines, soit dans celles des nombreuses ethnies qui ont immigré au cours des deux derniers siècles dans cette région géographique.

RECETTE DE BISON

Le bison demeure le symbole par excellence de l’Ouest canadien. Aussi, voici une recette pour l’apprécier à sa juste valeur!

Ontario

L’Ontario et le Québec partagent historiquement un lien alimentaire fort, puisque les Iroquoiens établis près des Grands Lacs envoyaient déjà à leurs voisins, avant l’arrivée des colons européens, des pans de leurs cultures de maïs, de haricots et de courges. Cette relation privilégiée n’a pas été ternie par le temps, puisqu’aujourd’hui encore, de grandes compagnies comme Maple Leaf, Kraft et Olivieri alimentent le Québec de leurs produits.

L’Ontario a une tradition culinaire plus anglaise et américaine que française. Il est toutefois étonnant d’apprendre qu’en plus des gravies, beignets, pâtés et poudings, toute bonne ménagère ontarienne confectionnait dans les années 1850… des currys avec des épices importées du monde entier!

Était-ce un signe du métissage que cette province connaîtrait par la suite? Effectivement, les grands centres urbains ontariens sont devenus des lieux où on peut savourer des cuisines traditionnelles ou fusion de toutes les origines possibles. Par contre, ces différentes cuisines utilisent la plupart du temps des produits locaux, qui sont particulièrement nombreux dans la province. Au sud, l’Ontario produit notamment des céréales, du maïs, des fruits (pommes, petits fruits, cerises, pêches, etc.) et une grande variété de légumes. Le climat doux du sud-est également propice à la culture du raisin de table et à la production de vins, dont ceux de glace, dans la péninsule du Niagara. Les lacs du nord, eux, fournissent de nombreux poissons, dont du doré, du brochet, de la truite et du corégone. Enfin, même si nous l’ignorons souvent, le nord-ouest est réputé pour son manomin, un célèbre riz sauvage amérindien qu’achetait au 19e siècle la Compagnie de la Baie d’Hudson. Des fermes d’élevage, laitières et fromagères complètent cette généreuse offre alimentaire.

RECETTE RIZ SAUVAGE

Comme il fait partie intégrante du patrimoine culinaire ontarien, le riz sauvage mérite d’être dignement honoré avec une recette!

Québec

Avant qu’elle n’adopte le nom qu’on lui connaît aujourd’hui, la terre québécoise était déjà riche d’un réservoir de produits marins et forestiers : petit et gros gibier, champignons, herbes, petits fruits, poissons, fruits de mer, etc. Les 11 nations autochtones nomades ou sédentaires qui ont accueilli les premiers colons français disposaient déjà de recettes et de techniques de cuisine, comme la production de sirop d’érable, ou bien le séchage et la fumaison de poissons ou de viandes.

Les nouveaux venus ont mêlé ces savoirs ancestraux et les produits locaux à leur propre culture culinaire, puis l’ont teintée de saveurs de leurs voisins anglophones et d’autres vagues d’immigrants. La cuisine familiale québécoise traditionnelle, que l’on nomme aussi canadienne, comprend donc aussi bien de la tourtière, de la tarte au sucre ou de la soupe aux pois que des beans à la mélasse, du pouding chômeur, des burgers, du pâté chinois et de la sauce bolognaise.

Certaines spécialités considérées comme typiques au Québec, et qui ne sont pourtant pas si anciennes que cela, comme l’incontournable poutine, le bagel ou la viande fumée, viennent ainsi d’ici ou d’ailleurs. Ce métissage se reflète aussi dans la cuisine contemporaine québécoise, qui s’est affranchie des dogmes de la cuisine française pour se réapproprier son terroir et faire preuve d’une créativité débordante, quitte à embrasser plusieurs cultures culinaires dans un même plat.

Cet esprit d’ouverture, ainsi que la gourmandise naturelle des Québécois et des néo-Québécois, se traduit dans à peu près tous les pans de l’alimentation. Aux traditionnelles saisons des sucres (le Québec produit 70 % du sirop d’érable mondial), des pommes (pensez au prisé cidre de glace) et du blé d’Inde (maïs) se mêlent une infinité de cultures agricoles, de fermes laitières, d’élevages, de pêcheries, de transformateurs et d’artisans de bouche. Fromages frais ou affinés, petits fruits (pensons aux bleuets, aux fraises, aux canneberges et aux camerises), viandes (bœuf, porc, poulet, agneau, etc.), bières, vins et alcools, richesses halieutiques (salmonidés, crabe des neiges, homard, crevettes, algues, etc.), champignons de toutes sortes, pains et desserts… Il est impossible de détailler l’impressionnant garde-manger avec lequel les restaurants comme les foyers peuvent s’amuser au quotidien.

Le riche patrimoine culinaire québécois inspire plusieurs chefs locaux comme Simon Mathys, propriétaire du restaurant Mastard, qui nous invite à découvrir son interprétation du lapin braisé aux huîtres.

Provinces maritimes et Terre-Neuve-et-Labrador

Les francophones ont un attachement particulier pour les Maritimes, qui regroupent l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Les Acadiens qui y résident sont effectivement les descendants de colons français, ce qui ne les a pas empêchés de se constituer une cuisine originale d’inspiration française, anglaise et américaine au fil de leur histoire mouvementée.

Quand on évoque cette partie du Canada, un produit nous vient automatiquement en tête : le homard! Impossible de le manquer, il est présent sur tous les menus, constitue l’attraction centrale des ports dans des shacks en bois chaleureux et s’achète même dans les aéroports locaux.

Mais, cela ne veut pas dire que les Maritimes ne proposent pas autre chose. Les produits de la mer sont évidemment en vedette sur place, comme le crabe, les harengs, le saumon, les pétoncles, les palourdes, la morue et les huîtres. De son côté, la province de Terre-Neuve-et-Labrador est une championne toutes catégories de pêche et d’aquaculture, offrant des produits aussi divers que l’aiglefin, l’anguille, la baudroie, le capelan, l’espadon, la lotte, le maquereau, la raie, le thon rouge, le requin, et le loup marin, sans compter les fruits de mer.

Il est donc évident que les préparations à base de produits de la mer sont incontournables dans cette région géographique, notamment le pot-en-pot, un pâté de poisson ou de fruits de mer, ou encore le fricot, une soupe-repas au poisson (ou au poulet), dans laquelle on ne manque pas d’ajouter… des pommes de terre, bien sûr! Parce que ce tubercule a, avec le homard, une place de choix dans la culture culinaire des Maritimes. Présente dans la majeure partie des plats, elle est d’ailleurs la vedette d’une des spécialités acadiennes les plus populaires, la poutine râpée ou râpure, à savoir des boules de pommes de terre râpées, liées par de la purée de pommes de terre et des morceaux le lard.

Rien de tel qu’un délicieux fricot à la morue pour voyager par les papilles jusqu’aux Maritimes. Et c’est le chef du restaurant Fricot qui nous partage cette recette ô combien rassembleuse.